TRANSITION POLITIQUE ET JUSTICE AU BURKINA FASO : Comment sortir de l’hypocrisie ?
Un peuple débout derrière un article de loi ! C’est l’image que le monde entier retiendra de l’insurrection populaire d’octobre 2014 au Burkina Faso. Prenant la mesure des attentes sociales, les nouvelles autorités politiques ont annoncé une réforme de la justice. Le présent article s’affranchit de la rhétorique politicienne pour décrypter la portée programmatique des messages transcrits sur les pancartes brandies par les manifestants.
http://www.lefaso.net/spip.php?article63769I. L’indépendance de la Justice : entre hypocrisie politicienne et incrédulité citoyenne
II.
A. L’hypocrisie politicienne ou le contournement de la justice
La profession de foi des autorités de la Transition pour une justice indépendante a été obscurcie par tant d’exemples malheureux de contournement de la justice dans la gestion de certaines affaires : menaces d’émission de mandats d’arrêt internationaux, dessaisissement de la justice « par le fait du Prince », autorisation donnée directement à la famille d’une victime pour procéder à l’expertise d’une sépulture dans une affaire judiciaire, gel des avoirs décidé par voie administrative plutôt que par voie judiciaire.
L’exercice, quoique séduisant, est possiblement périlleux, car tout régime a ses dossiers pendants et ses « casseroles ». C’est pourquoi la prudence recommande de « tourner la langue sept fois avant de parler ». Lorsqu’elles sont interpelées, les autorités politiques auront beau jeu de dire : « la justice suit son cours », ou encore : « je n’ai aucun commentaire à faire sur une décision de justice ». Dans notre droit, le Garde des sceaux est la seule autorité politique pouvant parler au nom de la justice. C’est le principe même de la « séparation des pouvoirs » qui commande de s’incliner devant l’autorité du juge pour ne pas compromettre le cours des procédures.
B. L’incrédulité citoyenne ou la justice du feu
Le droit coutumier burkinabè connaît le recours au feu comme substitut de la justice. C’est à la foudre que les tribunaux coutumiers en appelaient pour découvrir la vérité et châtier le coupable. Est-ce cela qui explique l’intensité avec laquelle le feu est sollicité dans les contestations civiques, ou faut-il y voir la tradition de violence politique ouverte depuis une trentaine d’années ?
Heureusement, rien n’indique que ce recours aux méthodes de justice expéditive – et primitive – soit irrémédiable. En se mobilisant massivement pour rejeter toute manipulation de la Constitution, les Burkinabè ont suffisamment démontré leur foi dans les vertus progressistes du droit. Mais l’irruption des foules dans la vie publique invite à sortir du dirigisme politique pour repenser une gouvernance inclusive, sans verser dans le populisme. Les foules n’ont pas toujours raison.
III. La réforme de la justice : ces slogans qui interpellent !
Il n’est pas possible de penser la justice au Burkina Faso sans revisiter le sens des slogans – ces raccourcis de la pensée – qui ont longtemps ponctué les revendications citoyennes.
Slogan N°1 : « Non à une justice aux ordres ! »
La force suggestive de ce slogan est saisissante : il faut mettre la justice à l’abri des pressions multiformes, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales.
La pression politique est à rechercher notamment dans la prépondérance de l’autorité politique sur la carrière des professionnels, l’immixtion politique dans le cours des procédures et la faible autonomie financière et fonctionnelle des services judiciaires.
Quant à la pression sociale, elle est un mouvement démocratique irréversible qui traduit l’importance de la justice dans la République. Mais elle emprunte parfois des chemins détournés. C’est elle qui a fait atterrir des roquettes sur des bâtiments de justice lors de la mutinerie de 2011. C’est encore cette pression qui a décimé dans les flammes le palais de justice de Koudougou et celui de Bobo-Dioulasso. C’est toujours elle qui a incendié des commissariats de police.
Slogan N°2 : « Non au non-lieu ! »
Ce slogan, intimement lié à l’Affaire Norbert ZONGO, révèle le socle culturel de la justice coutumière. En effet, plusieurs sociétés africaines connaissent le rituel de la « procession des porteurs de mort ». Ces sociétés prêtent au cadavre le pouvoir de conduire irrésistiblement ceux qui le portent jusqu’à l’assassin. Dans l’imaginaire de ces sociétés, il n’y a pas de place pour le « non-lieu » puisque l’âme du mort continue de rôder parmi les vivants tant que le coupable court.
La juge des temps modernes tient office de porteur de mort : il doit aussi conduire au coupable, même s’il ne lui est plus demandé de se laisser entraîner par le souffle du mort mais par l’« esprit de la loi ».
Slogans N°3 : « Justice pour les dossiers pendants ! »
Les « dossiers pendants », ce sont ces affaires judicaires dans lesquelles des pressions politiques sont supposées. Les citoyens s’organisent alors pour faire échec à ces pressions. En réponse, le gouvernement a parfois alloué des « moyens spéciaux » pour la gestion de ces affaires. C’est donc à l’occasion des dossiers pendants que l’on découvre le surprenant dénuement de la justice. C’est encore des « moyens » que le gouvernement promet à la famille de Thomas SANKARA pour réaliser l’expertise de sa sépulture.
Slogan N°4 : « Non à une justice à deux vitesses ! »
Au nom de l’égalité de tous devant la loi, la justice doit demander des comptes aux puissants du moment. Mais c’est peu de dire que les longs règnes engendrent une caste d’intouchables, si haut perchés que le filet de la justice ne peut les atteindre.
La justice doit aussi s’ouvrir aux plus pauvres. Elle doit apprendre à accueillir et à orienter le justiciable. Sans quoi, celui-ci serait livré aux intermédiaires, faisant ainsi craindre la contagion des mœurs mercantiles dans un lieu qui exclut toute vénalité. C’est cette crainte qui a fait retentir le cri, vieux de deux mille ans, lancé aux vendeurs de pigeons établis aux abords de la synagogue : « « Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père un lieu de marché ! ». L’égalité de tous devant la loi doit disqualifier toutes les formes de corruption dans le milieu judiciaire et ramener à de justes proportions le poids de l’argent dans l’accès à la justice.
Slogan N°5 : « Vérité et Justice ! »
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