Vente de légumes
« On gagne plus qu’un fonctionnaire ! »
L’activité est essentielle à la vie de tous les jours, surtout dans les grands centres urbains. Quelques personnes réussissent toujours à s’aménager un petit potager à la maison, mais la production qui en découle est bien en deçà des besoins. C’est la brèche qui a permis la constitution de ce qui peut bien être qualifié de filière de vente de légumes, au regard du niveau d’organisation de ses acteurs.
Dans cet univers, du producteur, au revendeur en passant par le grossiste, chacun a son rôle et un temps bien spécifique pour intervenir.
Il faut faire le détour des marchés et « yaars » pour tenter de percer le secret du commerce de légumes, auprès de ceux, et surtout, de celles qui l’exercent. En effet, c’est un travail qui recrute essentiellement parmi les femmes.
Zoom sur les grossistes. Elles ont une sorte d’accord tacite qui fait que chacune a des destinations précises pour son approvisionnement. Dès 5 heures du matin, et souvent même, bien avant, elles sont dans les différentes gares pour emprunter l’un des camions de transports en commun. Un exercice qu’elles répètent trois ou quatre fois dans la semaine, à la recherche du marché où elles pourront s’acheter, au moindre prix, le maximum de légumes.
Le voyage se fait à bord de véhicule pas toujours aménagés pour déplacer dans de bonnes conditions des humains, mais cet aspect ne préoccupe pas visiblement les braves dames. Après plusieurs kilomètres passés à être secouées sur des routes dont on n’en retiendra que le mauvais état, elles arrivent au village.
Les tractations débutent aussitôt. Les producteurs sont là, et leurs marchandises aussi. Ils avaient déjà eu des échanges téléphoniques avec ces dames venues de Ouaga, pour s’accorder sur les quantités à réserver. En effet, comme nous l’a fait comprendre une des grossistes. « Je fais mes achats en fonction de ce que les clients me demandent », raconte une commerçante de Nonsin. Elle poursuit : « Il arrive que je manque d’argent, mais grâce à la confiance qu’il y a entre nous et ces gens, je peux prendre un peu à crédit. Sans ça, je risque de perdre ma clientèle ».
Les discussions entre producteurs et grossistes peuvent s’éterniser. Le point d’achoppement est toujours le prix, jugé constamment trop élevé au regard de la quantité de la marchandise. Mais l’on finit par s’entendre et il faut alors regagner rapidement Ouagadougou, où attendent les autres acteurs de la filière.
Peines et misères d’un métier
Les grossistes s’occupent, le plus souvent de livrer les légumes aux détaillantes, installées çà et là dans la ville. Ce sont elles qui ont affaire aux consommateurs, aux « femmes de 8 heures ». Les détaillantes ne connaissent pas de crédit. Elles disent ne pas pouvoir procéder autrement, parce que c’est au comptant qu’elles acquièrent les légumes auprès des grossistes, très réticentes à vendre à crédit.
La mécanique est bien huilée dans ce monde des légumes, mais pour les individus, il est parfois bien jaune, le sourire. Dame Tapsoba évoque quelques uns de ses soucis : « nous sommes exposées à plusieurs dangers. Lorsque qu’on est en route pour aller à la gare très tôt le matin, des voleurs peuvent nous agresser parce qu’ils se disent que nous avons de l’argent sur nous. C’est généralement à 4 heures du matin que nous sortons et à ce moment, il n’y a pratiquement personne dans la rue. Tous les jours nous échangeons nos vies contre la mort. C’est le Tout puissant qui nous protège. Les chauffeurs font la surcharge, les routes sont mauvaises, les véhicules, on n’en parle pas. Chacun se débrouille. Parfois on tombe en panne alors que toi tu as des marchandises que tu dois aller livrer. Si tu n’arrives pas vite, la personne peut aller prendre ailleurs chez une autre personne. Il faut savoir qu’on a parfois des problèmes avec les revendeuses à qui nous donnons les légumes. Certaines ne veulent vraiment pas payer leurs crédits et tout ça, c’est des problèmes ».
Les légumes, c’est bon pour la vie !
Les revendeuses, elles aussi, ont leurs problèmes : « nous vendons à perte souvent. Les clients parfois nous disent que nous vendons cher. Nous n’accusons personne. Si nous achetons cher, nous ne pouvons pas vendre moins cher. Et dans tout ça, vous avez des clients qui achètent sans donner immédiatement l’argent. Dès qu’ils y a du monde, ils profitent disparaître. »
En dépit de ces nombreuses difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien, grossistes et vendeuses confessent, au sujet des revenus qu’elles gagnent, que « ça vaut mieux que rien ».
Les économies qu’elles réalisent sont déposées dans les institutions de micro finance. Il y a aussi des mécanismes d’épargne informels dans les marchés, qui semblent avoir la préférence des « madame légumes ». Une collectrice perçoit régulièrement auprès de chaque femme un montant déterminé et selon une périodicité convenue. Un des vendeuses de légumes explique épargner, par ce système et celui des tontines, 10 000 Francs CFA par jour. Une performance dont elle n’est pas peu fière : « ce n’est pas beaucoup mais je sais qu’il y a des gens qui sont des fonctionnaires mais qui ne gagnent pas ça par jour. Mais eux ils valent mieux que nous parce qu’ils sont à leur place et chaque mois, on verse l’argent dans leurs comptes sans qu’ils se fatiguent trop. Nous, il faut se battre tous les jours et si tu ne sors pas, tu sais que tu ne vas pas manger. Si tu es malade, c’est un vrai problème que tu as eu. Tu ne peux plus travailler, tu dois dépenser pour te soigner, alors que plus rien ne rentre ».
Ces vendeuses de Ouaga, elles sont des battantes. Même si elles ne portent pas le pantalon à la maison, elles sont bien souvent la poche d’où sort l’argent nécessaire à la vie des membres de la famille.
Wend-mi Gaëlle Ouédraogo